vendredi 15 janvier 2010

Interview d'Emile bravo sur Auracan.com


23 avril 2008 à Bruxelles : une journée médiatique pour Émile Bravo et son Journal d’un ingénu (Dupuis) avec de nombreuses interviews télé, presse ou radio au moment du lancement du nouvel album « Une histoire de Spirou et Fantasio par… ». La rédaction d’Auracan.com ne pouvait pas manquer de rencontrer l’auteur du quatrième one-shot mettant en scène un héros qui fête tout juste ses 70 ans ! Et dont finalement les lecteurs ne connaissaient pas grand-chose de sa jeunesse. Explications de l’auteur… 

Quelle fut la genèse de votre Journal d’un ingénu ?
Benoît Fripiat [directeur éditorial adjoint de Dupuis grand public], Claude Gendrot [ex directeur éditorial chez Dupuis] et Dimitri Kennes [ex directeur général de Dupuis] m’ont proposé le projet. Surtout Benoît qui me connaissait déjà au travers de Jules, série qu’il apprécie beaucoup. Quand il y a eu le projet de one-shots consacrés à Spirou, ils sont venus me voir à Paris pour me proposer d’en faire un. Pour tout dire, j’ai tout de suite eu envie de réaliser ce que j’ai fait. 

C’était quand ? 
Il y a trois ans. Mais j’avais d’autres choses à faire avant. Je ne m’y suis donc mis que récemment. J’ai commencé le scénario l’an dernier. Finalement, ça a permis de faire mûrir pendant deux ans l’idée que j’ai eue…

Comment avez-vous construit votre histoire ? On a l’impression que tout*s’enchaine comme des évidences…

Je suis parti de questionnements d’enfant. Pourquoi Spirou porte-t-il ce costume ridicule de groom, alors qu’il n’est plus groom ? Je parle là des Spirou qui ont bercé mon enfance, c'est-à-dire ceux de Franquin. Ensuite, je me demandais la nature de l’amitié entre Spirou et Fantasio. Dans Tintin, on découvre le capitaine Haddock dans Le Crabe aux pinces d’or ; plus tard, on découvre le professeur Tournesol dans Le Trésor de Rackham le Rouge. Bref, on nous présente ses amis et on rentre dans leur intimité. Là ce n’est pas le cas. On a un couple d’amis - Spirou et Fantasio - et on ne sait pas comment ils se sont connus. Et si on regarde les archives, on ne trouve rien. Un jour, Jijé a créé le personnage de Fantasio, pendant la guerre je crois. Et, de fait, il arrive déjà comme l’ami de Spirou. Il y avait un troisième questionnement : qui était Spip ? C’est très curieux : autant la conscience de Milou ne me dérangeait pas car j’avais un chien et avais l’impression qu’il avait une conscience, autant celle de Spip… un rongeur ? Comment se fait-il que le Marsipulami ait un comportement animal et que cet écureuil pense ? Et pourquoi l’univers féminin était-il aussi peu développé ? Il y avait bien Seccotine certes, mais c’est une caricature de la femme !

Et quelles réponses avez-vous trouvées ?
Je me suis dit que, peut-être, derrière tout cela, il y avait un traumatisme d’un adolescent qui a rencontré une femme qui l’a révélé, qui lui a montré ce qu’était l’amour, qui lui a ouvert les yeux sur le monde. Et cette fille disparaît : il n’y a donc plus de place pour d’autres filles. Spirou ne pense qu’à elle. Pour garder un tel uniforme, il faut que cela soit en relation avec elle. La couleur rouge est sans doute symbolique. Un rapport avec le communisme ? Et là, c’est fantastique, le personnage a été créé par Rob-Vel en 1938, mais il a vraiment été étoffé en 1946 par Franquin. Entre les deux : rien ou presque. En 1938, Rob-Vel crée un groom qui travaille vraiment dans un hôtel. Mais en 1946, il n’y travaille plus : il s’est donc passé quelque chose. Entre temps, il y a eu la guerreJ’ai donc mélangé tout cela. Et Fantasio, c’est qui ? C’est un journaliste, un peu « people », un peu gaffeur. On va alors lui faire provoquer la plus grosse gaffe du monde ! Voilà un peu l’idée !…

Un peu dans la mouvance uchronique d’aujourd’hui ! 
Oui, mais si vous imbriquez tous ces éléments, je crois que c’est assez logique. En gros, pour qu’une personne qui n’a pas conscience de la vie en prenne conscience, il faut souvent un traumatisme, un décès, une perte de cœur, un truc qui bouleverse un môme, qui fait énormément réfléchir et qui fait mûrir. En tout cas, j’espère que tout le monde en tire quelque chose de positif. J’ai fait intervenir la Seconde Guerre mondiale pour faire grandir le personnage, pour lui faire prendre conscience. Derrière tout cela, il y a la politique, puis l’amour, Fantasio et Spip…

Finalement, nous découvrons le début de l’histoire de Spirou, mais connaîtrons-nous la suite de ses jeunes années ?
Ce serait bien, il y a tellement de choses à dire ! Spirou est un tel vecteur pour faire passer des idées qui me paraissent intéressantes. Si on peut montrer et expliquer aux enfants ce qu’est un héros, qu’un héros n’existe pas et que des circonstances le créent, c’est déjà énorme. Ensuite, avec mon côté didactique, on peut essayer d’expliquer ce qu’a été cette période de la guerre. Et puis, entre les personnages légers et cette période dramatique, il y a des antagonismes que j’aime bien. Par exemple dans cet album, sa copine est juive, elle est consciente du nazisme. Parler du nazisme dans Spirou : il y a une telle opposition que cela devient intéressant. Montrer l’horreur avec ce personnage, cela peut donner quelque chose de bien… On verra, mais je pense que je ferai une suite.



Et côté graphique, Dupuis vous a-t-il donné carte blanche ?
Oui, on n’a absolument pas parlé de cahier des charges. J’ai utilisé mon style. Je considère le dessin comme une écriture. Mon dessin est ma façon d’écrire, le plus facilement accessible à tout le monde. Il faut oublier qu’on est en train de lire une bande dessinée : il faut lire une histoire. Et pour cela, à mon avis, il faut opter pour des codes vraiment simples, épurés au maximum.
Vous avez ajouté quelques planches pour le magazine Spirou (numéro du 70e anniversaire) où vous dévoilez l’explication du nom de Spirou et de ses débuts comme groom…
C’était dans la logique. Il manquait cela dans cet album. Il manquait cet autre phénomène : pourquoi « Spirou » ? Ce n’est pas un nom Spirou ! Il fallait expliquer.

En fait, la vraie nouveauté, c’est son prénom : Jean-Baptiste !
Et oui, c’est symbolique ! Jean-Baptiste, car il se baptise lui-même à la fin. Dans mon histoire, il est orphelin. On peut imaginer qu’il a été placé dans une institution catholique. S’il bosse jeune dans un hôtel, c’est qu’il a été viré de son orphelinat et qu’il y a dû se passer un truc grave, or ce n’est pas possible. Il ne peut pas faire de connerie puisque c’est un cœur pur, un héros ! Et donc, finalement, ce qui s’est passé de grave, cela s’est passé dans la tête des curés.

Bien vu ! Je suppose que vous travaillez sur d’autres projets ?
Je vais faire un troisième tome de Boucle d'or et les sept ours nains. Après, je réaliserai un sixième tome de Jules car cela fait longtemps qu’on en a pas sorti. Avec Le Journal d’un ingénu, j’ai adopté un enfant - Spirou - mais je ne m’occupe plus du mien ! Je pense qu’après je m’attellerai au « second-shot » de Spirou

Pour conclure, vous êtes un auteur heureux…
Je suis content d’avoir réussi ce coup-là car cette collection est vraiment une collection pour auteurs : on nous demande de faire « notre » Spirou. On m’a tellement laissé de libertés que c’est un pur bonheur et j’ai vraiment envie d’en faire d’autres ! Et puis ce personnage est tellement universel, c’est bien de s’en servir aussi pour essayer d’en faire quelque chose de bien.

Propos recueillis par Manuel F. Picaud à l’hôtel Métropole le 23 avril 2008
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photos d’Émile Bravo © Manuel F. Picaud / Auracan.com

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