mardi 1 septembre 2009

Interview parue dans l'humanité du 12 Juin 2004...

Rencontre avec Émile Bravo, auteur attachant qui revendique la bande dessinée adressée autant aux enfants qu’aux adultes. et vice versa.
Émile Bravo se raconte volontiers. Son père espagnol enfermé dans un camp des Pyrénées-Orientales qui lui racontait des histoires toujours inventées. Sa mère, sympathisante communiste. Sa conscience prolifique de la mort. Son héros, Jules, coule des jours heureux dans le magazine Okapi et ses albums parlent aux enfants. Comme aux adultes. Il est en croisade contre ceux qui, dans le petit monde de la BD, renient l’essence même de leur art et jugent être une régression le fait d’avoir inventé un prix du meilleur dessin. Rencontre avec un personnage attachant.
 
Comment peut-on présenter Jules votre héros ?
Émile Bravo. C’est un personnage auquel on peut facilement s’identifier et qui peut fédérer les générations. Il vit des aventures fantaisistes mais plausibles. On a du mal à communiquer à cause de nos " ego ". C’est pour cela que j’ai envie de parler de ce que nous sommes réellement. J’essaie de raconter des histoires qui effacent un peu ces " ego " en confrontant Julius à la relativité, au clonage, aux hommes du Néolithique. On passe son temps à accepter sa propre mort et je crois que cela peut aider à vivre et à accepter l’autre. Il y a quelque chose qui nous lie, c’est l’angoisse face à cela. D’une certaine manière, c’est peut-être cela qui est mis en scène dans mes histoires.
 
N’est-ce pas un propos trop dur pour des enfants ?
Émile Bravo. La bande dessinée est un langage qui a été inventé pour l’enfance. Mais une bonne BD doit aussi être lisible par un adulte. Et finalement, pour le dire dans l’autre sens, les bonnes BD adultes sont lisibles par les enfants. Mais je constate qu’il y a de moins en moins de gens qui parlent aux enfants. L’enfance, ce n’est pas rien. À sept ans, on est fait. Alors, je crois qu’il y a des petits messages à faire passer. Pour moi, tous les thèmes sont abordables, tout dépend de quelle façon on le fait. Il ne s’agit pas de bousculer les enfants, mais de les prendre par la main. Dans mes bandes dessinées, il peut y avoir plusieurs niveaux de lecture, comme c’était le cas dans celles de Hergé, Franquin ou Goscinny, qui ont donné à cet art ses lettres de noblesse.
 
D’ailleurs, votre dessin se rapproche d’une certaine ligne claire.
Émile Bravo. On juge trop la bande dessinée à travers le dessin. Le texte et le dessin sont indissociables. C’est comme si on disait à quelqu’un qui vous présente une histoire manuscrite : " Oh ! quelle belle écriture ! " En fait, la bande dessinée est beaucoup plus proche de l’idéogramme, de l’écriture même. Et la calligraphie nuit à la lecture, c’est pour cela que j’utilise le truc de base. Pour moi, tout le monde peut être lecteur et il est contre-productif de vouloir s’embarquer dans des graphismes trop complexes. La notion de fluidité est essentielle en bande dessinée.
 
Vous parliez de message, est-ce une manière de réhabiliter la place de l’artiste dans la société ?
Émile Bravo. Peut-être que je suis plus un artisan qu’un artiste. J’ai l’impression d’être dans l’urgence. On va droit au mur avec cette société, donc il faut changer les mentalités. Si je peux apporter une petite pierre à cela par l’éducation. Beaucoup d’artistes ont besoin de parler de leurs névroses. J’en ai comme tout le monde. Mais je veux utiliser ce moyen d’expression que j’ai la chance de posséder, sans m’autoriser à faire la morale, pour dire qu’il faut continuer à se rassembler, à se fédérer à l’échelle de l’humanité. Je ne me prends pas au sérieux, ce que je fais m’amuse et il faut que ce soit rigolo. Ce que j’ai retenu de l’école, c’était dit par des profs qui avaient le sens de l’humour. Je montre seulement les faits, les contradictions. Je mets en scène des personnages complexes qui un jour disent oui, et l’autre non. Jules fait l’expérience que le monde des adultes n’est absolument pas parfait. Dans ce monde, l’enfant est obligé de se plonger alors qu’il faut le remettre en question. Pour vivre en société, il faut être conscient, oublier le côté égoïste et tribal. On vit dans un monde capitaliste où la notion de profit est mise en avant. Il faut en changer. Mais je dis tout ça dans la joie et la bonne humeur, parce que malgré tout ça ce serait trop triste de passer sa vie nos vies à nous lamenter !
 
Propos recueillis par P. Dh.
Source :
L'Humanité

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire